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Comprendre et utiliser le Bilan Carbone : le guide à l’usage des élu(e)s CSE

Le carbone ne nous quitte plus. Il s’invite sur nos billets de train, dans nos applications bancaires, sur la matinale de France Inter, et même dans la BDESE (base de données économiques, sociales et environnementales).

Mais par où commencer pour appréhender ce concept quand on est élu(e) CSE, d’ores et déjà débordé(e) de prérogatives, surfant entre les négociations salariales à bâbord et l’Arbre de Noël à tribord ? 

A toutes fins utiles, nous avons compilé quelques points-clés pour les représentants du personnel. Débutant(e) ou connaisseur(se), suivez le guide et vous saurez tout (ou presque) sur le bilan carbone et comment vous en servir.

Bilan carbone guide

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Acte 1 : Le Bilan Carbone, à quoi ça sert ?

1.1. Comptabiliser les émissions de gaz à effets de serre (GES)

Afin d’aiguiser nos méninges, démarrons par un point de vocabulaire. Bilan carbone, empreinte carbone, bilan d’émissions de gaz à effet de serre, BEGES, bilan GES… Ce fatras de termes sont-ils synonymes ? 


Pas tout à fait, mais presque. En réalité, le Bilan Carbone® est une marque déposée. Il s’agit d’une méthode créée par l’ADEME et Jean-Marc Jancovici, portée aujourd’hui par l’ABC (Association pour la transition Bas Carbone). C’est le référentiel le plus répandu en France.

« Le Bilan Carbone® est un standard d’excellence en matière de comptabilité GES : il a pour objectif de réaliser une photographie exhaustive de l’ensemble des émissions de GES d’une organisation » – Association pour la transition Bas Carbone (ABC)

Mais dans le langage courant, on utilise souvent « bilan carbone » pour désigner toute forme de comptabilité des émissions de gaz à effet de serre (souvent résumées sous le sigle « GES » ou par le raccourci « carbone ») à l’échelle d’une organisation. 

Le bilan carbone est donc une forme de comptabilité. Sauf qu’à la place de compter des euros, on compte les émissions de gaz à effet de serre (GES) à l’échelle d’une année.

Cette comptabilité est née dans les années 2000, face au besoin de répondre aux engagements pris par les Etats lors du protocole de Kyoto. On comprend donc qu’elle a un but : contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique, provoqué notamment  par l’utilisation massive des énergies fossiles depuis l’ère industrielle. Pour endiguer l’augmentation des températures, l’humanité doit réduire drastiquement et rapidement les émissions mondiales de gaz à effet de serre. Et quand on dit « drastiquement », c’est du sérieux : en France par exemple, la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) projette de diviser par 6 les émissions nationales d’ici 2050.

La comptabilité GES est un domaine émergent, qui se construit progressivement pour répondre à la nécessité de mesurer plus finement nos émissions et lutter contre le réchauffement climatique. Par exemple, la méthode Bilan Carbone® en est à sa huitième version et la neuvième est déjà dans les tuyaux. Il faut donc suivre régulièrement l’évolution des normes, des connaissances et des outils.

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Les différentes méthodes de comptabilité GES ont leurs spécificités mais suivent les mêmes grands principes. Il est assez simple de naviguer de l’une à l’autre. Il est tout à fait possible pour une organisation de publier son bilan dans plusieurs formats.

1.2. Entreprises, collectivités, particuliers, élus CSE : tous concernés 

C’est bien beau de compter le carbone, mais qui doit compter ? Exactement comme la comptabilité financière, le bilan carbone se décline à tous les niveaux.

Côté particuliers : plusieurs outils en ligne permettent de faire l’exercice à sa propre échelle et de calculer son empreinte carbone sur une année. On vous conseille par exemple Nos Gestes Climat, créé par l‘Agence de la transition écologique (ADEME). C’est une excellente entrée en matière.

Côté entreprises, administrations, associations : en France, la publication d’un bilan carbone est obligatoire tous les trois ou quatre ans pour certaines organisations.  

C’est par exemple le cas pour les entreprises de plus de 500 employés, les services de l’État ou encore les établissements publics de plus 250 agents. À l’heure actuelle, environ 5 000 entités sont soumises à cette obligation. Mais ce chiffre est en passe d’augmenter, notamment avec l’entrée en vigueur d’une nouvelle directive européenne (CSRD, Corporate Sustainability Reporting Directive) au 1er janvier 2024.

Bien sûr, les organisations qui ne sont pas soumises à cette obligation sont quand même concernées par la démarche. Elles peuvent librement choisir de réaliser et de publier (ou non) leur bilan carbone. Elles sont même encouragées à le faire, notamment par des dispositifs de financements publics comme le Diag Décarbon’Action de Bpifrance ou encore les aides Tremplin de l’Ademe.

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Tous les secteurs sont concernés par le bilan carbone. Des efforts d’ampleur sont attendus dans toutes les activités pour endiguer le réchauffement climatique et atteindre la neutralité carbone en France en 2050. Ministère de la Transition Écologique (2020).

Mais le bilan carbone ne s’arrête pas là : 

  • Il s’adresse aussi aux territoires, au sens géographique du terme. Il peut s’agir par exemple d’une commune, d’un département, d’une région, d’une agglomération, d’un Parc Naturel Régional… 
  • Il peut être décliné à l’échelle d’un produit : il s’agit alors de comptabiliser la quantité totale de GES générée, non pas sur une année, mais tout au long du cycle de vie de ce produit – depuis depuis sa production jusqu’à sa fin de vie en passant par son utilisation.
  • Il peut aussi être réalisé pour un projet, comme une manifestation sportive, un séjour touristique, un déménagement d’entreprise… Là encore, la méthode consiste à comptabiliser l’ensemble des émissions de GES engendrées par les différentes étapes du projet. 
Et les CSE alors ?

Vous nous voyez venir :  oui, bien sûr, les CSE sont concernés par le bilan carbone. Et ce à plusieurs titres :

  • D’un point de vue juridique : le CSE est tenu de se prononcer sur les conséquences environnementales de l’activité de l’entreprise depuis la loi « Climat et Résilience » d’août 2021 . La base de données économiques, sociales et environnementales (BDESE) doit notamment inclure les chiffres du bilan carbone de l’entreprise. On vous en dit plus dans la suite de l’article « Acte 3 : Comment agir sur le bilan carbone en tant que CSE ? »
  • D’un point de vue pratique : les prestations sociales et culturelles proposées aux salariés ne sont pas sans conséquences pour le climat. Comme toute organisation, les CSE ont donc un rôle à jouer dans la réduction de l’empreinte carbone nationale. Pour en savoir plus, consultez notre article  « L’empreinte carbone des CSE : un impensé pour le climat. »

1.3. Du Bilan Carbone à la stratégie Climat

Il ne s’agit pas de comptabiliser pour comptabiliser. La démarche Bilan Carbone ne doit pas s’arrêter à la photographie des émissions de gaz à effet de serre.

L’objectif est le suivant : mettre en place une stratégie de décarbonation (c’est-à-dire une réduction progressive des émissions GES).

Les intérêts sont multiples : 

  • Placer ses efforts aux bons endroits ;
  • Prendre conscience de sa vulnérabilité énergétique ;
  • Anticiper les réglementations ;
  • Mettre en valeur ses engagements et communiquer efficacement.

 

👉​ Placer ses efforts aux bons endroits : si l’on a peu de temps et d’énergie pour agir, alors autant être sûr de placer ses efforts là où ils produiront des effets significatifs, non ? C’est exactement la logique du bilan carbone. Il s’agit d’identifier les marges de manœuvres de l’organisation et de les quantifier. C’est la porte d’entrée idéale pour mettre en place une trajectoire de réduction et en piloter l’efficacité, année après année.

 

👉​ Prendre conscience de sa vulnérabilité énergétique : A ce jour, toutes les organisations sont dépendantes des énergies fossiles à un endroit ou l’autre de leur chaîne de valeur. Mais plus que jamais – risques climatiques accrus, contexte géopolitique incertain, adaptations locales face au réchauffement – se pose la question de la disponibilité et du prix de ces énergies dans les années à venir. Prenons l’exemple d’un parc d’attractions en France : une flambée des prix de l’énergie pourrait se répercuter sur ses coûts (car les attractions, les restaurants, les hôtels, les boutiques… consomment de l’énergie) mais aussi sur ses ventes (car les touristes viennent en voiture, en train, en avion… et pourraient être découragés par une hausse des prix). Pour éviter de se laisser surprendre, le bilan carbone lui permettra de mesurer sa vulnérabilité et d’anticiper une stratégie d’atténuation.

« Il est de l’intérêt propre de l’industrie de se décarboner […] car, tôt ou tard, le caractère inéluctable du réchauffement climatique contraindra toutes les activités humaines à prendre en compte l’évidente nécessité de la décarbonation : les activités déjà décarbonées auront acquis un avantage compétitif important. » Association The Shifters, La gazette du carbone, déc. 2023

👉 Anticiper les réglementations : Au 1er août 2023, 54 % du PIB mondial était couvert par un prix du carbone (sous forme de taxe ou de quotas). En cohérence avec la lutte contre le réchauffement climatique, la portée de ces mécanismes est en passe d’augmenter dans la prochaine décennie. C’est le cas pour l’Union Européenne, où une taxe carbone aux frontières (mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ou MACF) s’appliquera à partir de 2026 sur les importations de matières premières polluantes – comme l’acier, l’aluminium, le ciment ou les engrais azotés – puis certains produits finis – comme les voitures, les vis ou les boulons. Le bilan carbone permet aux entreprises concernées de quantifier le surcoût lié à cette réglementation et de l’anticiper. En dehors de l’UE, de nombreux pays comme la Norvège, le Canada, Singapour ou encore l’Afrique du Sud prévoient aussi l’augmentation de leurs taxes carbone respectives.


👉 Communiquer efficacement : Plus de 30% des Français (65 % des 18-24 ans) déclarent ne pas croire aux initiatives écologiques des firmes selon une étude de Capgemini. Pour éviter le greenwashing et permettre aux consommateurs d’y voir clair, l’encadrement des arguments écologiques des marques est de plus en plus strict. Par exemple, depuis le 1er janvier 2023, les publicités ne peuvent plus vanter des produits « neutres en carbone » sans le démontrer publiquement en publiant un bilan carbone détaillé. Une entreprise doit donc être capable de prouver ses qualités environnementales pour surfer sur la vague verte. Cette nécessité va aller croissant, notamment avec l’introduction d’un éco-score à partir de 2024 – un affichage du « coût environnemental » des biens ou services qui sera obligatoire à terme sur tous les produits de grande consommation, selon la loi Climat de Résilience de 2021.

Acte 2 : Comment est calculé le Bilan Carbone ?

Maintenant que vous savez tout sur l’historique du Bilan Carbone et ses usages, il est temps d’en maîtriser les rudiments de calcul.

2.1. Vous reprendrez bien une petite tonne d’équivalent CO2 ?

Revenons un instant sur le vocabulaire. Si l’on parle couramment de bilan « carbone », ce n’est pas anodin. Parmi les multiples gaz à effet de serre responsables du changement climatique, l’un d’entre eux se démarque : le dioxyde de carbone ou « CO2 ».

Et pour cause : à lui tout seul, le CO2 représente près des 2/3 des émissions mondiales de GES induites par les activités humaines… sans compter sa particularité de rester très longtemps (un bon siècle) dans l’atmosphère. Bien qu’étant le principal coupable, le CO2 a des complices. Sept gaz sont visés par l’Accord de Paris, parmi lesquels le méthane (CH4), le protoxyde d’azote (N2O) et d’autres gaz aux noms fleuris.

Les scientifiques ont donc eu l’idée de créer une unité commune permettant d’additionner le pouvoir réchauffant de ces différents gaz en les comparant au CO2. Et tadam, voilà la fameuse « tonne équivalent CO2 » qui débarque. Cette unité est également orthographiée « tCO2éq. » ou encore « tCO2e » . Elle se décline aussi en gramme ou en kilogramme.

💡 Le bilan carbone est exprimé en équivalent CO2, mais ce n’est pas toujours facile de se représenter les ordres de grandeur. Voici quelques équivalences qui vous permettront de frimer à votre prochaine réunion CSE : 

  • L’empreinte annuelle d’un Français moyen en 2022 : 9 tonnes CO2e par an
  • L’empreinte « cible » d’un Français pour atteindre la neutralité carbone en 2050 : 2 tonnes CO2e par an 
  • 1 repas avec du bœuf : 7 kg CO2e
  • 1 repas végétarien : 0,5 kg CO2e
  • 1 t-shirt (coton) : 6 kg CO2e
  • 1 smartphone (5,5 pouces) : 31 kg CO2e
  • 1 télévision (40-49 pouces) : 350 kg CO2e
  • 1 aller retour Paris-Beauvais ou Rennes-Nantes en voiture (200 km) : 45 kg CO2e
  • 1 aller retour Lille-Marseille en TGV (2000 km) : 6 kg CO2e
  • 1 aller retour Paris-New York en avion (11 600 km) : 1 770 kg CO2e (1,7 tonnes CO2e)
  • 1 an de streaming vidéo (326 heures) :  12 kg CO2e
 

👋 Si vous en voulez plus, n’hésitez pas à jeter un œil au comparateur carbone de l’Ademe.

2.2. Vive les flux, mais pas n’importe lesquels

Le périmètre d’étude est particulièrement important. Le but du bilan carbone n’est pas d’obtenir le chiffre le plus bas possible – ni même le plus juste possible – mais bien de ratisser large pour identifier les principaux postes d’émissions et les marges de manœuvre. Il faut donc considérer le périmètre le plus large possible.

Dans le jargon du bilan carbone, on parle de « flux » pour désigner toutes les opérations qui génèrent des gaz à effet de serre. Il s’agit par exemple : 

  • Des flux d’énergie (consommation d’électricité, combustion de gaz, fioul…)
  • Des flux de matières (transport de marchandises, achats de matériel, incinération de déchets…)
  • Des flux de personnes (déplacements des employés, des visiteurs…)

 

Ces « flux » sont des données physiques (exprimées en litres, en tonnes, en kwh etc.) et non pas des données monétaires (qui seraient exprimées en euros, dollars, couronnes tchèques, etc.). C’est important, car certains postes d’émissions ne sont pas visibles dans les factures mais doivent quand même être pris en compte. Par exemple, le déplacement des clients pour venir jusqu’à la boutique… ou celui des bénéficiaires pour venir à un événement CSE.

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La cartographie des flux est une étape essentielle pour réaliser le Bilan Carbone d’une organisation. Tous les flux nécessaires à la réalisation de l’activité doivent être pris en compte (énergie, matières, personnes, déchets, etc.) - Représente.org

La première étape d’un bilan carbone est donc de cartographier tous les flux nécessaires à la réalisation de l’activité. Et c’est vaste ! A l’inverse de la comptabilité classique, il ne s’agit pas d’affecter les émissions à une entreprise plutôt qu’une autre, mais bien d’identifier les marges de manœuvres d’une organisation sur l’ensemble de sa chaîne de valeur. A la logique « c’est pas moi c’est l’autre » on substitue une logique d’interdépendance

 

👉​ Comment savoir si l’on doit compter un flux dans le bilan d’une organisation ? En gros, il faut avoir en tête ces deux règles :

  • Quand l’activité de l’entreprise est dépendante de ce flux (ex : les émissions liées à l’utilisation d’un produit, aux déplacements des clients, ou encore à la production des fournitures)
  • Et/ou quand l’entreprise possède un levier d’action qui lui permettrait de modifier ce flux (ex : sourcer des fournitures éco-conçues, offrir des réductions pour les clients qui viennent en train…)

Par exemple : une chaîne hôtelière n’est pas responsable des repas pris par les touristes en dehors de l’hôtel, ni des activités qu’ils réalisent pendant leur séjour. Mais elle en est néanmoins dépendante – car les touristes ont besoin de manger et de s’occuper – il lui faut donc inclure ces postes dans le périmètre de son bilan carbone.

Les « scopes » : une nomenclature à connaître

La notion de « scopes » (périmètres en anglais) a été introduite dès le début de la comptabilité carbone dans les années 2000. C’est une manière de catégoriser les émissions :

  • Le « scope 1 » comprend les émissions directes des sources contrôlées par l’organisation. Par exemple, le carburant des voitures de fonction, le fioul utilisé pour la chaudière des bâtiments…
  • Le  « scope 2 » comprend les émissions indirectes liées aux achats d’électricité, de chaleur ou de froid. Par exemple, les factures d’électricité.
  • Le  « scope 3 » comprend toutes les autres émissions indirectes. Par exemple : les achats de matières premières, le transport de marchandises, les déplacements professionnels, les déplacements des clients ou visiteurs, etc… Bref, tout le reste.


Il est bon de connaître cette nomenclature, qui a néanmoins des limites. A cause de son côté « fourre tout », le scope 3 rassemble la majorité des émissions pour la plupart des entreprises. En France, il était pourtant exclu du périmètre règlementaire jusqu’en 2022.

La tendance va donc à dépasser les scopes. Par exemple, la version actuelle du référentiel Bilan Carbone® comprend 10 catégories, et la méthode réglementaire en comprend 6 dans sa dernière mouture. Pour les curieux(ses), un comparatif des référentiels est disponible ici.

2.3. Les facteurs d’émissions

C’est bien beau tout ça, mais une fois qu’on a les flux, comment obtient-on des tonnes de CO2e ?

  • 220 grammes de CO2e émis pour chaque kilomètre parcouru en voiture
  • 88 kilos CO2e émis pour chaque achat d’imprimante jet d’encre
  • 13 kilos CO2e émis pour chaque paquet de café soluble consommé

 

Ce sont des exemples de facteurs d’émissions. Des multiplicateurs qui permettent d’estimer, à partir d’une donnée identifiée, la valeur des émissions de gaz à effet de serre associées.

Des facteurs d’émissions, il en existe pour à peu près tout : trajets en avion, consommation d’électricité, achats de fournitures, d’aliments… Même la quiche lorraine a son facteur d’émissions (4,21 kg CO2 eq/kg de produit). Véridique !

Calculer l’empreinte carbone grâce aux facteurs d’émissions - Représente.org
Il est préférable d’utiliser des données physiques pour calculer le bilan carbone. De nombreux facteurs d’émissions sont disponibles dans des bases de données régulièrement mises à jour, comme la Base Carbone de l’Ademe. - Représente.org

Puisque les flux sont des réalités physiques, comme on l’a vu précédemment, il est préférable d’utiliser des données physiques afin d’obtenir des résultats plus précis. Si l’on n’a pas d’autres choix, on peut également utiliser des ratios monétaires (c’est-à-dire des facteurs d’émissions basés sur des moyennes monétaires) au prix d’une plus grande incertitude. Prenons l’exemple d’une carte cadeau de 70 € : elle peut être dépensée pour acheter des livres, une enceinte bluetooth, une entrée à Disney ou encore une robe en velours… pour le même montant, les émissions de GES varient d’un facteur 10 !

👉​ D’où viennent ces facteurs d’émissions ? Ils ne tombent pas du ciel (ouf). Ils sont issus de calculs d’experts et de chiffres fournis par divers organismes de part et d’autre du globe. Ils sont répertoriés dans des bases de données régulièrement actualisées et mises à disposition des consultants et des professionnels. Ces bases de données sont régulièrement enrichies. En France, la plus étoffée d’entre elles est la Base Carbone (généraliste, en accès libre) aux côtés d’Agribalyse (denrées alimentaires, également en accès libre).

« Et si je confectionne des lance-pierres en corne de zébu ? »

Pour certaines activités très spécifiques, les consultants vont parfois devoir établir des facteurs d’émission sur mesure – par exemple en réalisant une analyse de cycle de vie ou en combinant des hypothèses (poids des matières premières : x grammes de corne de zébu, procédés de fabrication : x kwh d’électricité consommée…). La précision du chiffre dépendra du niveau d’informations fourni par le client, ainsi que de la possibilité d’opérer des recoupements avec des données existantes. Et pour éviter de se perdre dans les détails, la règle d’or est la suivante : si le flux en question est susceptible de peser lourd dans le bilan final de l’organisation, alors ça vaut le coup d’y consacrer du temps.

Acte 3 : Comment agir sur le Bilan Carbone en tant que CSE ?

3.1. Les prérogatives environnementales du CSE depuis la Loi Climat

C’est officiel : le CSE est désormais habilité à parler Climat avec l’entreprise. C’est le fruit d’une longue évolution du rôle des représentants du personnel, consacrée par la loi du 22 août 2021 portant sur la lutte contre le dérèglement climatique, et inspirée par les propositions de la Convention citoyenne pour le climat (voir notre article sur le sujet). 

 « Le comité social et économique a pour mission d’assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions […], et notamment au regard des conséquences environnementales de ces décisions. » – Code du travail, article L2312-8, version en vigueur depuis le 25 Août 2021.

La question de la légitimité ne se pose plus : le législateur a donné cette mission au CSE. Le dialogue social ne peut plus faire l’impasse sur ces sujets qui concernent aussi les conditions de travail et la pérennité de l’entreprise.

En pratique, la loi Climat a notamment permis les avancées suivantes :

  • L’intégration d’un volet environnemental dans chacune des informations-consultations (c’est-à-dire que le CSE doit être informé des conséquences environnementales des projets et décisions de l’employeur ; il peut donc émettre un avis et proposer des orientations alternatives) ;
  • La possibilité de se faire accompagner par un expert sur les sujets environnementaux dans le cadre des trois consultations récurrentes ; 
  • L’intégration de données environnementales à la BDESE (voir notre encadré) ;
  • L’intégration d’un volet environnemental dans la formation des élus CSE ;
  • La prise en compte des enjeux de transition écologique dans les négociations sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC).
Comment savoir si mon organisation doit réaliser son bilan carbone ?

De nombreuses entreprises réalisent leur bilan carbone sans y être obligées… mais parfois, même le meilleur argumentaire ne suffit pas à les mettre en action. Votre organisation est-elle soumise à l’obligation de réaliser son bilan GES ? Il y a trois cas de figure. 

Cas n°1 : votre organisation est concernée par le BEGES (Bilan d’émission de gaz à effets de serre). C’est le cas pour :

  • les entreprises (ou autre personne morale de droit privé) employant plus de 500 personnes en métropole ou 250 personnes en outre-mer ;
  • les services de l’État ;
  • les  collectivités territoriales de plus de 50 000 habitants ;
  • les établissements publics (ou autre personne morale de droit public) de plus 250 agents.

C’est le code de l’environnement qui rend encadre cette obligation (Chapitre IX, section 4). Les organisations concernées doivent réaliser un bilan d’émissions et un plan d’action volontaire visant à les réduire tous les trois ou quatre ans.

Cas n°2 : votre organisation est concernée par la DPEF (Déclaration de performance extra-financière). C’est le cas pour :

  • les sociétés cotées de plus de 500 salariés dont le bilan est supérieur à 20 millions d’euros ou dont le chiffre d’affaires est supérieur à 40 millions d’euros.
  • les sociétés non cotées de plus de 500 salariés dont le bilan ou le chiffre d’affaires est supérieur à 100 millions d’euros.

 

C’est le code de commerce qui encadre cette obligation (articles L225-102-1 et R225-105). Dans le cadre de cette déclaration, les organisations doivent réaliser un bilan d’émissions et rédiger un plan d’action volontaire avec des objectifs chiffrés.

 💡 A savoir : la prise en compte des émissions indirectes (« scope 3 ») est obligatoire pour les entreprises soumises à la DPEF depuis le décret du 11 juillet 2022. En théorie, ce décret s’applique aussi aux entreprises soumises au BEGES… mais par dérogation, les sociétés non assujetties à la DPEF peuvent encore se limiter aux scopes 1 et 2.

💡 A savoir : à partir de 2026, les seuils vont être élargis et la DPEF va concerner de plus en plus d’entreprises, en application à de la directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). 


Cas n°3 : votre entreprise compte plus de 50 salariés a bénéficié d’aides au titre du « Plan de relance ». Si oui, elle a dû établir un bilan simplifié des émissions de gaz à effets de serre (c’est-à-dire uniquement le « scope 1 ») et le publier au plus tard le 31 décembre 2023.

C’est la loi de finance pour 2021 qui encadre cette obligation (décret d’application n°2021-1784 du 24 décembre 2021).

🤔​ Que se passe-t-il en cas de non-respect ? C’est sans doute là que le bât blesse. Bien que renforcées en 2019, les sanctions restent relativement faibles (au maximum 10 000 € et 20 000 € en cas de récidive). Selon le décompte de l’Ademe, 65% des organisations soumises à l’obligation ne l’ont pas respecté en 2021. En pratique, la démarche Bilan Carbone est encore considérée comme pédagogique et incitative par les pouvoirs publics.

3.2. Agir sur le Bilan Carbone de l’entreprise

Maintenant que vous savez tout sur la méthode, vous brûlez sans doute de vous en servir. Voici quelques pistes pour s’impliquer sur la stratégie Climat de l’entreprise en tant qu’élu(e) du personnel.

👉​ Le CSE peut questionner l’employeur : On l’a vu, les conséquences environnementales doivent être intégrées dans chaque information-consultation. Dans le cadre des consultations ponctuelles, cela signifie que les élus peuvent questionner l’impact climatique des décisions prises par la direction pour chaque projet d’ampleur (déménagement, lancement d’un nouveau produit, rachat d’un concurrent… ), et lui demander de rendre compte des ces impacts. Dans le cadre des consultations récurrentes, le CSE peut questionner par exemple le plan de formation (éco-conception, achats responsables, …), le plan mobilité (télétravail, déplacements professionnels, flotte de véhicules…) ou encore la prise en compte des enjeux énergétiques dans ses orientations stratégiques (taxe carbone, prix de l’énergie…). Si l’entreprise a réalisé son bilan GES, c’est bien sûr l’occasion de demander une présentation des objectifs de réduction et des actions mises en œuvre. Selon la maturité de l’entreprise sur ces sujets, l’employeur n’aura pas forcément les réponses, mais il sera au moins poussé à se poser la question. 

👉​ Le CSE peut être force de proposition : les consultations sont l’occasion de formuler un avis motivé. C’est l’occasion de proposer des alternatives moins carbonées ou l’intégration de critères climatiques dans les opérations ou projets de l’entreprise. Par exemple : des séminaires d’entreprise accessibles en train, des formations pour certains métiers-clés (R&D, achats, numérique…), la réalisation d’un bilan carbone (si ce n’est pas déjà fait), le fléchage de l’épargne salariale vers des fonds mieux-disants, des partenariats vertueux (consignes, vélos de fonctions, équipements numériques reconditionnés…), etc.

👉​ Le CSE peut être acteur du plan climat : le CSE peut aussi avoir un rôle de conseil et d’accompagnement de l’employeur sur ces sujets. Les élus peuvent travailler main dans la main avec la direction sur la mise en œuvre du plan climat. Voici quelques exemples :

  • Intégrer l’équipe projet du Bilan Carbone, notamment pour l’élaboration du plan d’action ;
  • Co-organiser des actions de sensibilisation pour les salariés ;
  • Créer une commission environnement avec des salariés volontaires pour travailler sur ces sujets de manière transverse ;
  • Co-rédiger une politique de numérique responsable avec la DSI, ou un plan de mobilité avec les RH…
Bilan-Carbone-CSE

La contribution du CSE en termes de compétences et de temps pourra être précieuse pour l’employeur. C’est l’expérience qu’a vécue Antoine Clément, élu CSE chez SAP France, lorsqu’il a sollicité l’entreprise sur les enjeux climatiques. « Quand j’ai demandé à ce qu’on se penche sur la question de notre impact, ils n’ont pas refermé la porte. Ils m’ont dit : “OK, ça fait partie de notre stratégie commerciale et c’est dans notre intérêt, mais on ne sait pas trop quoi faire.” » Le CSE a monté une commission environnement et aidé la direction à construire la politique de décarbonation des voyages d’affaires. « Ils auraient pu se faire accompagner, mais je ne pense pas qu’ils étaient dans une démarche aussi poussée […]. Eux n’avaient pas cette compétence, ni le temps à allouer. » La commission environnement a pris le relais en constituant « en interne une équipe de personnes engagées et expertes à un premier niveau, qui voulaient vraiment avoir de l’impact. »

Cela a aussi été un levier pour favoriser l’adhésion des salariés et s’assurer que leurs voix étaient prises en compte dans les changements. « On s’est dit que le combat ne se passait pas qu’au niveau de la direction, qu’il fallait que les salariés comprennent le projet et y adhèrent. Là-dessus, la direction et la Commission Environnement ont travaillé ensemble. » 

Utiliser la Base de Données Économiques Sociales et Environnementales (BDESE)

La Base de Données Économiques, Sociales et Environnementales (BDESE) rassemble des informations mises à disposition par l’employeur. Le « E » final a été ajouté suite à la loi Climat de 2021. Le décret du 26 avril 2022 liste les informations environnementales qui doivent être intégrées. 

Dans la catégorie « Changement climatique » le décret prévoit : 

  • a) L’identification des postes d’émissions du « scope 1 » et, lorsque l’entreprise dispose de cette information, l’évaluation du volume de ces émissions de gaz à effet de serre ;
  • b) Le bilan GES ou le bilan simplifié pour les entreprises tenues d’établir ces différents bilans.

Si votre organisation est soumise à l’obligation de faire son bilan carbone, vous pouvez donc lui demander d’intégrer ses résultats à la BDESE. Sinon, l’entreprise doit a minima fournir l’identification des postes d’émissions directes (ex : chaudière, climatisation, flotte de véhicules…). 

💡 Bien sûr, le CSE peut demander à ce que des informations complémentaires soient intégrées. Un accord collectif spécifique à ce sujet peut être établi. Par exemple : la ventilation du bilan carbone par site ou par ligne de produits, les indicateurs de suivi du plan de décarbonation, le statut des actions mises en œuvre, etc…

💡 Si l’entreprise n’a pas réalisé de bilan GES, vous pouvez demander à intégrer les consommations énergétiques des bâtiments, le nombre de déplacements professionnels en avion, la part de repas végétariens servis à la cantine, la proportion de matières recyclées utilisées pour la confection des produits, ou encore des informations marketing sur le mode de déplacement des clients pour venir en boutique… – c’est-à-dire des données reflétant les activités potentiellement les plus carbonées de l’entreprise et ses marges de manœuvre. Ce sera du temps gagné pour un futur calcul du bilan carbone – et cela pourra initier des échanges intéressants avec l’employeur !

Retrouvez de nombreuses ressources pour agir dans la boîte à outils “CSE et transition écologique” co-construite avec le Printemps Écologique !

Quelques points d’attention face au Bilan Carbone d’une entreprise

Votre employeur (ou l’un de vos fournisseurs CSE) vous présente son bilan carbone, et vous souhaitez vous assurer du sérieux de la démarche ? Voici quelques pistes de réflexion :

  • Sur quel périmètre a été évalué le bilan carbone ? Le scope 3 (émissions indirectes) a-t-il été pris en compte ? Certains postes ont-ils été exclus (ex : activités d’un sous-traitant, déplacements des utilisateurs…), si oui pourquoi ?
  • Un plan de réduction a-t-il été mis en place ? Est-il suffisamment ambitieux au regard des objectifs climatiques de l’Union Européenne (-55% d’ici 2030) ou de la France (stratégie nationale bas-carbone) ?
  • Quelles actions de réduction sont prévues ? Ont-elles été quantifiées en CO2e ? Quelles sont les échéances, les indicateurs de suivi et les responsables ?
  • Une allégation “neutre en carbone” est-elle formulée ? Si oui, sur quel périmètre (scope 1-2-3 ?) et sur quels projets de compensation se base-t-elle ?

3.3. Agir sur les activités sociales et culturelles (ASC)

La mission environnementale du CSE ne se limite pas au dialogue social… elle s’applique également sur son propre périmètre ! 

En effet, dans le cadre des prestations qu’il délivre à ses bénéficiaires, le CSE est à l’origine de flux (de cadeaux, de voyages, de festivités…) qui sont loin d’être neutres en carbone.

L’impact carbone des prestations CSE est rarement évoqué. Il s’agit même d’un angle mort, car elles ne sont généralement pas comptabilisées lors du calcul du bilan carbone de l’entreprise. Pourtant, à l’échelle de la France, les CSE sont à l’origine de 11 milliards d’euros de dépenses chaque année – soit l’équivalent du budget de la ville de Paris – et d’activités fortement émissives (vols long courriers, achats de biens…).

Comme toute organisation indépendante, le CSE peut donc faire son propre bilan carbone. Cela permettra aux élus d’identifier les activités qui pèsent le plus sur le climat, ainsi que les leviers d’actions dont ils disposent pour s’améliorer. Et d’être ensuite plus crédibles dans leurs échanges avec la direction et les salariés.

« Quel meilleur moyen de se former et de comprendre les ordres de grandeur qu’en faisant notre propre bilan carbone ? Si ensuite il y a un plan de réduction des émissions du CSE, là on est dans notre rôle : on prend notre part de responsabilité et d’action. »  Antoine Clément, élu CSE chez SAP France

Bilan-Carbone-CSE-Impact-Témoignage
Le CSE est souvent à l’origine d’activités fortement émissives, comme les vols longs courriers. L’exercice du bilan carbone permet aux élus de prendre conscience des ordres de grandeur et de mener une réflexion sur les impacts de leurs prestations.

Pour en savoir plus sur l’impact carbone des activités sociales et culturelles (ASC), rendez-vous sur notre article :

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