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Climat : faut-il tirer un trait sur la viande ? #2

Dans notre précédent article, nous nous sommes demandés jusqu’où un régime moins carnivore permet de réduire notre empreinte carbone. Mais certains esprits francs du collier, inquiets qu’on ne les ait pris pour des poires avec des arguments à la noix, n’auront pas manqué de poser cette remarque : premièrement, n’avez-vous pas déjà dépassé le quota autorisé de dix calembours douteux ? Et deuxièmement, ne suffirait-il pas tout simplement de décarboner l’élevage pour se sentir un peu mieux dans nos assiettes ? Tout d’abord, notre quota n’est hélas pas encore totalement épuisé. Mais surtout, décarboner l’élevage est un sujet plus délicat qu’il n’y paraît. L’heure est venue, si vous le voulez bien, d’ouvrir ce nouvel onglet. 

La FAO (l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) estime que l’évolution des pratiques agricoles permettrait de réduire de 30 % les émissions de gaz à effet de serre (GES) liées à l’élevage. Il s’agirait déjà de diminuer autant que possible les pertes et les gaspillages qui émaillent l’ensemble des circuits de production. Cela passerait aussi par une meilleure valorisation des fumiers, une meilleure maîtrise de la fertilisation des cultures fourragères. Rappelons en effet que, globalement, 30 % des récoltes servent à nourrir du bétail (Mottet et al.). De même, des modes de culture plus respectueux des sols seraient susceptibles de mieux y séquestrer le carbone au lieu de le relâcher.

 

Mais « mieux faire » ne suffira hélas pas à compenser la hausse de la demande que l’on projette pour les prochaines décennies : + 50 % pour les produits d’origine animale entre 2012 et 2050 (FAO 2018). Or, lorsqu’il est question de décarboner l’élevage, on retombe nécessairement sur deux problèmes a priori insolubles : les émissions de méthane des ruminants d’une part, et le besoin d’étendre les surfaces cultivées de l’autre.

 

 

Manque de Place

L’alimentation du bétail mobilise des surfaces. Cela impose de fait une limite au nombre d’animaux que l’on peut élever sans avoir à préempter de nouveaux espaces. Ils sont généralement gagnés au détriment de la forêt ou d’autres habitats naturels. En Amérique du Sud en particulier, l’élevage constitue la principale cause de déforestation.

La France, quant à elle, ne déforeste pas sur son sol mais importe 40 à 50 % des protéines végétales que consomme son cheptel. Cela ajoute au passage à son déficit commercial. En 2019, la facture s’élève à 1,4 milliards d’euros pour les aliments concentrés destinés à l’élevage. Parmi ces préparations alimentaires importées, celles qui prévalent sont les tourteaux de soja (OGM bien sûr). Le Brésil est de très loin notre premier fournisseur (60 % des volumes). Ce sont des sortes de farines, obtenues à partir des résidus laissés par les graines une fois l’huile extraite.

Ce choix du soja est intimement lié à une logique productiviste. Il sert principalement à booster l’apport en protéines des animaux d’élevage au meilleur prix (quoique le cours mondial a tendance à s’envoler ces derniers temps). Cela permet d’accélérer la croissance des poulets de chair, ou encore d’augmenter les volumes de lait produits par les vaches, quitte à faire passer la qualité au second plan. Le projet Quality Low Input Food (QALIF), conduit par l’Union européenne entre 2004 et 2007, avait par exemple démontré que le lait biologique contient au minimum 60 % d’antioxydants en plus que le lait conventionnel.

 

L'agriculture intensive est-elle la solution ?

Pour limiter les émissions de GES et la déforestation, n’est-il pourtant pas nécessaire d’intensifier l’élevage ? En théorie, oui. Améliorer les rendements par tête permet de rationaliser les émissions de méthane des ruminants ainsi que la surface consommée pour une même quantité d’aliments produite. Mais si par « intensif » on pense à un modèle qui court après les très hauts rendements, au final, la réponse est non.

D’abord parce que cette logique, qui se veut efficiente en termes de surfaces mobilisées, tend en réalité à sous-utiliser certaines ressources (mauvaise valorisation des fumiers et des résidus de culture) et à en surconsommer d’autres (étirement des distances de transport).

Elle crée également des déséquilibres dans les milieux naturels (appauvrissement des sols de culture, pollutions locales en phosphates) et exerce souvent une forte pression sur la santé et le bien-être animal. Tout cela recoupe au passage des enjeux de santé publique (surutilisation des antibiotiques, pollution des ressources en eau douce…). De fait, la soutenabilité de ce modèle est contestable.

Il faut surtout rappeler que dans les faits, une très large part (on cite souvent le chiffre de 70%) de la production alimentaire mondiale repose sur les très petites exploitations. Elles apportent des revenus indispensables aux populations rurales des pays en développement et constituent de ce fait un atout majeur en termes de sécurité alimentaire.

Faire progresser la productivité et les revenus des ces exploitations est nécessaire et souhaitable. Mais ces gains peuvent s’obtenir sans qu’il soit besoin de calquer sur elles le modèle occidental d’agriculture à très hauts rendements.

D’ailleurs, les chiffres avancés par la FAO tendent à démontrer qu’au-delà de certains seuils, augmenter la productivité par tête de bétail n’est plus pertinent pour réduire les émissions de GES.

Relation entre les émissions moyennes de GES et le rendement moyen (par tête) d’une exploitation bovine (FAO, 2019)

Des ruminants et du méthane

Deuxième problème insoluble, si l’on veut décarboner l’élevage : les ruminants (brebis, chèvres, vaches) éructent (ou rotent si vous préférez) du méthane. Ils sont à l’origine d’environ 30 % des émissions anthropiques (liées aux activités humaines) de ce puissant gaz à effet de serre, qui totalise lui-même au moins un cinquième de notre impact global sur le climat. 

 

Alors, vous vous demandez peut-être comment des animaux qui sont sur Terre depuis des millions d’années peuvent ainsi contribuer à causer un déséquilibre climatique, là où la nature a toujours pris soin de créer des cycles où tout s’équilibre ? 

 

 

Très bonne remarque, vous répondrais-je. Observons donc le cycle du carbone quand ce dernier décide de transiter par les estomacs d’un ruminant. D’abord notre CO2 se trouve dans l’air. Puis, grâce à la photosynthèse, il s’associe à l’hydrogène de l’eau (H2O) pour former de la matière organique, et ainsi faire croître de l’herbe bien verte, dans une belle prairie bien naturelle. Un mouton décide alors de manger l’herbe (ça peut arriver). L’essentiel de cette matière organique ingérée passera donc dans les tissus et les organes du mouton. Mais, au contact de la flore intestinale dudit ruminant, une partie du carbone va se réagencer avec de l’hydrogène, pour former du méthane (CH4). 

 

Une fois nonchalamment expulsé, ce méthane part donc dans l’atmosphère. Là, il va réagir au contact de certains éléments chimiques comme les radicaux-libres hydroxyles (HO•), toujours bon à placer au scrabble ou lors de vos dîners en ville. Puis, c’est généralement au tour des oxydes d’azote (NOx) d’entrer en jeu. Bref, après moult péripéties, notre méthane va progressivement troquer son hydrogène contre de l’oxygène pour redevenir du CO2

 

La boucle est bouclée et tout va bien, donc, me direz-vous. Pas si simple… Problème n°1 : même quand il a fini de faire son petit tour dans l’atmosphère, le méthane nous laisse quelques souvenirs de son passage.

 

« La dégradation du méthane génère de l’ozone [O3] et de la vapeur d’eau [H2O] dans la stratosphère, ce qui amplifie le réchauffement atmosphérique. » (Édouard Bard, professeur au Collège de France).

 

Mais le plus embêtant, c’est que l’atmosphère ne peut pas dégrader simultanément une quantité illimitée de méthane. Face à ce goulet d’étranglement, l’augmentation des émissions finit nécessairement à provoquer une accumulation. Pire, cette accumulation a tendance à provoquer une diminution des radicaux HO• (c’est un cercle vicieux). Résultat :

 

“Les concentrations en méthane dans l’atmosphère sont deux fois et demi plus fortes que ce qu’elles étaient avant le début de la Révolution industrielle” (Marielle Saulnois, Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement).

 

Réduire le cheptel mondial et repenser notre régime

Vous serez peut-être étonnés d’apprendre qu’il y a moins de ruminants en France aujourd’hui qu’avant la Révolution industrielle. Un tiers de moins pour être précis. Sauf que là où la population d’ovins (brebis) a été divisée par cinq, le nombre de bovins a quant à lui doublé. Or, une vache émet annuellement 6 à 8 fois plus de méthane qu’une brebis. Et si le cheptel bovin stagne voire recule légèrement en Europe depuis les années 1970, ce n’est pas le cas dans le reste du monde, particulièrement en Amérique du Sud et en Asie. De 900 millions de têtes à la fin des années 1960, le cheptel bovin mondial est passé à un milliard et demi. Et malgré le léger fléchissement observé depuis plusieurs années, la tendance ne semble pas devoir s’arrêter du fait de l’occidentalisation des habitudes alimentaires.

 
Estimations des émissions mondiales de GES par espèce (GLEAM)

En résumé, si des marges d’amélioration sont possibles à de nombreux niveaux, il n’existe pas de formule magique qui permettrait de rendre nos productions animales inoffensives pour le climat au-delà de certains seuils. Les défis de l’adaptation aux aléas climatiques nous incitent à privilégier des systèmes de production alimentaire plus autonomes. Cela nous force à prendre en compte les limites des ressources naturelles dont nous disposons sans avoir à empiéter sur les espaces naturels. Les craintes liées à l’accumulation rapide de méthane dans l’atmosphère nous poussent à envisager la diminution du cheptel de ruminants, et particulièrement du cheptel bovin, qui concentre une empreinte carbone élevée par quantité de protéines produite. Nos habitudes alimentaires devront probablement évoluer pour s’adapter en conséquence.  Cela implique donc une baisse globale de notre consommation de produits carnés, au premier rang desquels la viande rouge.

 

Mais quitte à réduire la place de la viande dans notre alimentation, me demanderez-vous (car décidément vous posez beaucoup de questions), n’aurait-on pas tout avantage à supprimer totalement la viande de nos assiettes, tant qu’on y est ? Une question qui ne va pas manquer de relever un débat qui risquait (presque) de manquer de relief. Alors je vous dis à très vite pour la suite (et fin) de cette série d’articles.

 

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Climat : faut-il tirer un trait sur la viande ?